
Alors que la France s’apprête à célébrer sa fête nationale, je descends du train qui m’a emmené de Saint Lazare à Mantes-la-Jolie. À mes côtés, Tigre de Papier. Il est huit heure et demie et nous nous demandons ce qui a bien pu nous pousser à nous retrouver ici, nauséeux d’avoir avalé des pâtes au réveil, « au fond des boues tenaces et des banlieues insoumises ». La bicyclette, pardi ! Notre objectif : ne faire qu’une bouchée des cent vingt-cinq kilomètres qui nous séparent de Socquentôt. Les montures paternelles tiendront-elles le coup ? Combien de fois faudra-t-il se ranger dans le fossé pour changer les boyaux du Roger Lapébie de mon compagnon de galère ?
Nous longeons la Seine et ses méandres, grimpons des départementales dans la forêt, croisons des kébabs de village et des panneaux publicitaires au chômage, suppliant les passants de bien vouloir les utiliser pour communiquer. Les avions de chasse rugissent au-dessus de nos casquettes Champion. Des retraités astiquent leurs médailles, coiffent leurs calots et grimpent dans leurs voiturettes électriques, direction la mairie ou le cimetière, vers le clairon et les honneurs. D’autres, plus anarchistes, se contentent de tirer sur le mégot, les mains dans les poches du bleu de travail. Rougeaud sous le couvre-chef, c’est l’imperturbable Français de l'imaginaire collectif. Des tronches à accueillir les alliés avec la rasade de calva clandestin et les réformes avec un bras d’honneur.
Rouen marque la première pause. Nous célébrons quatre-vingts bornes avec une bière. La carte est alléchante, nous y succombons, à mille lieues de toute raison nutritivo-cycliste. L’os à moelle se conjugue au pluriel, la côte de bœuf fait un kilo, le pichet de Côtes-du-Rhône est bon marché et salvateur. L’heure est à la béatitude. Double café sur une petite place, vadrouille digestive et touristique, bidons remplis, il faut partir. C’est le moment que choisit le dérailleur du Pétardier (surnom de R. Lapébie, ndlr) pour tomber en miette. Doté de quatre mains gauches et d’aucun outil, nous mettons une heure à le revisser. Il faut y aller. La suite marque l’apparition de la douleur. Le béton hasardeux d’une départementale longeant l’autoroute est dénué de toute poésie. Seul le centième kilomètre nous arrache des cris de joie. Nous sommes enfin des pédaleurs à trois chiffres.
Par Foucauld
(Photo : André Leducq et Nicolas Frantz)
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