« Je vois New York comme une page blanche avec des lignes où chacun peut inscrire son expérience. C’est une ville qui vous rend très conscient d’y vivre. Même les numéros se chargent de mémoire. » dit Michel Gondry à Marc Lambron dans son Carnet de bal (3). Puis il ajoute, à propos du Lit, le bar favori de votre serviteur il fut un temps : « C’est le vernis du temps qui donne un supplément de valeur aux choses. On ne sait que rétrospectivement quelle partie du passé va devenir légende. ». J'avais le coeur qui battait, ce matin, en découvrant ça...
Par Foucauld
(Photo : Ellen Von Unwerth pour Common Sense)
Punta della Dogana, je contemple la vue à côté de « Pothead » de Paul McCarthy. Derrière la vitre, je me sens aussi con que cette tête de bite. Je suis las des critiques du monde par le biais de l’art contemporain. Un monde qui « continue, sans gêne, sans embarras, dans un univers un peu plus brutal, un peu plus condamné où la moyenne des vertus et des vices doit être restée à peu près constante. »
Près de l’Accademia, un graffiti-verrue : « New Times. New Blood. » Comme Morand, toujours, j’en viens presque à regretter un monde où « chacun portait encore l’habit de sa profession : les pédérastes restaient exclusivement pour hommes, sans faire des extras du côté des dames âgées ; les Blancs étaient moins noirs que les Noirs, les vieilles rôtisseuses de balai, célèbres pour leurs faiblesses, ne publiaient pas des mémoires édifiants, les prêtres ne ressemblaient pas à des pasteurs protestants, les étudiants en sociologie ne se déguisaient pas en bergers kurdes, et les bergers kurdes en parachutistes. » « Jamais l’expression actuelle « être mal dans peau » ne se traduit mieux que par nos travestis contemporains. » dit le génial écrivain.
Alors je retourne à l’immuable, dans les ruelles bordées de murs d’aquarelle. Aux fenêtres, des dessous fleuris et des chemises d’uniforme, cinq, comme les jours travaillés de la semaine. Une mère engueule son rejeton : « viens voir, c’est plus intéressant que d’faire de bêtises ! » Un autre graffiti : « Books and Boobs ». Je souris face à cette encre Posca. Notre monde est tout de même amusant…
Par Foucauld
« Je reste insensible au ridicule d’écrire sur Venise (...) » C’est presque par ces mots que Paul Morand débute son livre. Je ne peux que les lui emprunter.
À peine le premier pont franchi, deux femmes, ces tirades :
- Où est-ce qu’on a d’ja vu ça ?
- Florence ?
- Ouai, mais même, dans un autre pays ?
Pour ma part, je n’avais jamais vu ça. Nulle part. De Venise, je m’attendais au carton-pâte, et j’ai été conquis.
Place Zanipolo, je n’écris pas sur ce qui m’entoure, les touristes qui passent mais que je ne vois même pas. Dire que j’ignorais que cette ville n’avait jamais été envahie pas les autos…
Les Toscani « ont cet avantage de faire le vide autour de moi, j’en apprécie le tabac, et la prévenance » aurait pu chanter Gainsbourg. Toscano, cigare racine, comme un gamin fume des lianes. Je ne vois plus que ce que je désire voir. La Valpolicella est là pour convertir les plus récalcitrants. Les obsédés de la santé n’ont qu’à se contenter de l’eau des canaux.
Au Palazzo Grassi, un petit français visite l’exposition derrière un masque de carnaval ; il se fait gronder par la gardienne et doit l’ôter. Paul Morand poursuit : « A Venise, ma minime personne a pris sa première leçon de planète, au sortir de classes où elle n’avait rien appris. L’école ne me fut qu’un long ennui, aggravé de blâmes, mérités ; (…) »
Par Foucauld
(Photo : Jill Kennington par Patrick Lichfield)
Puisqu’il faut faire vivre les libraires, je suis les conseils de la réclame et m’arrête chez Itinéraires, du côté Halles de la rue Saint Honoré. Venise doit arriver. J’ai déjà dit mon rapport au voyage, cette race à laquelle j’appartiens, qui prend les trains en marche, patati et patata… De guide à ouvrir, il ne sera pas question de Routard. Je connaîtrai des Venises plurielles, comme Paul Morand. Après avoir acquis cet ouvrage, j’entreprends un Paris presque touristique, comme pour m’en emplir, avec la ferveur des derniers jours, des dernières emplettes avant départ.
Des touristes sont en tenue de sport. Marche-t-on réellement davantage à l’étranger que dans sa propre ville ?
Je continue jusque la Madeleine et Ladurée. « Des gens qui font la queue, tout ça pour des macarongs… mais le magasin il est beau ! » dit un monsieur au téléphone et en short, ou en short au téléphone ? Demi-tour. Penhaligon’s, une vendeuse me tatoue les poignets de patchouli.
Devant la librairie Delamain, je ne peux résister aux bacs. Mes doigts font défiler les ouvrages d’occasion. Pourtant, j’y ai déjà fait le plein hier midi. Ce sera Colette, « Prison et Paradis ». Ne l’avais-je déjà en Pléiades ? Qu’importe, je glisse deux euros dans la caisse ; les gens jettent des pièces dans les fontaines en espérant que leurs vœux soient exaucés, je peux bien me jeter dans les hasards de la littérature, qui plus est féminine ! Nous sommes d’ailleurs Place Colette, le Némours me tend les bras. Un Deliciosos de Davidoff, acquit à la Civette, n’attend que d’être circoncis et fumé ! La lumière a déjà des clartés d’automne : c’est qu’il est vraiment temps de quitter ce Paris à l’été avorté !
Par Foucauld
(Photo : Anita Ekberg par Phil Stern, via)
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